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Image principale : Expositions solidaires pour soutenir les Palestiniennes – Page de l’Union générale des femmes palestiniennes, section Égypte
Par Shaimaa El-Youssef
La journaliste palestinienne Amira Fathi a quitté Gaza avec ses trois enfants, laissant derrière elle son mari, sa famille et une maison en ruines. Réfugiée en Égypte, elle tente de reconstruire une vie loin des bombardements.
Peu après son arrivée, Amira découvre qu’elle souffre d’un dysfonctionnement des valves cardiaques. L’angoisse s’intensifie : qui prendra soin de ses enfants si elle venait à défaillir ?
C’est sur le groupe Facebook « Les journalistes solidaires » qu’Amira trouve une communauté bienveillante. Ses consœurs égyptiennes l’écoutent, l’accompagnent chez le médecin et prennent en charge ses frais médicaux – près de 4 000 livres égyptiennes (environ 70 euros), une somme colossale pour une mère ayant fui l’enfer.
Sans titre de séjour, la vie en dehors de Gaza est semée d’embûches administratives : accès restreint à l’éducation, aux soins. À Faisal, un quartier populaire à l’est du Caire, Amira trouve un fragile apaisement. « En tant que Palestinien·nes, nous n’avons pas le droit d’inscrire nos enfants à l’école publique. Et quand un établissement accepte, les conditions sont intenables : on exige des certificats détruits sous les bombes », confie-t-elle à Medfeminiswiya.
En attendant, elle a inscrit ses enfants dans une école privée et les aide à suivre le programme palestinien en ligne.
Selon l’ambassadeur palestinien au Caire(1), Diab Al-Louh, entre 100 000 et 115 000 Palestinien·nes ont fui Gaza vers l’Égypte entre octobre 2023 et mai 2025, tous via le point de passage de Rafah.
Quand l’entraide féminine devient salutaire
Dès les premiers jours du conflit, la section égyptienne de l’Union générale des femmes palestiniennes se mobilise. Sa présidente, Amal Agha, raconte à Medfeminiswiya comment des dons (couvertures, médicaments, denrées) sont collectés auprès de la diaspora et de femmes égyptiennes, puis remis au Croissant-Rouge égyptien.
Pendant le ramadan en mars 2025, l’Union a participé avec le ministère de la Solidarité sociale, à une vaste distribution de colis alimentaires aux familles palestiniennes sinistrées.
Amal se souvient, enthousiaste, d’une Égyptienne fidèle soutien de l’Union depuis l’Intifada d’Al-Aqsa au début des années 2000, qui, malgré des difficultés financières récentes, a insisté pour contribuer : « Elle m’a appelé dès le début de l’agression : ‘Je n’ai plus grand-chose, mais mon cœur n’a pas changé. Comment puis-je aider ?’ » Depuis, elle verse 100 dollars chaque mois pour soutenir deux étudiantes palestiniennes.
Autre exemple marquant : Lubna Alama. Cette entrepreneure qui organise des marchés solidaires, offre gratuitement des stands aux réfugiées palestiniennes pour qu'elles puissent vendre leurs créations. Les exposantes égyptiennes, elles, paient une participation symbolique pour financer l’initiative.
Amal conclut par une anecdote touchante : « Une Égyptienne nous a envoyé 1 000 dollars avec ce mot : ‘Pour les enfants de Gaza. Je ne supporte plus de voir les images de ces enfants blessés par les bombes. »
Au total, plus de 35 000 camions humanitaires (2) ont transité par l’Égypte, transportant quelque 390 000 tonnes de vivres, médicaments, carburants et eau potable. Le pays a assuré à lui seul 80 % des aides acheminées vers Gaza (3). Il a aussi envoyé, jusqu’à fin mai dernier : 123 ambulances, plus de 200 tonnes de matériel médical et environ 129 329 tentes pour héberger les déplacés.
« En tant que Palestinien·nes, nous n’avons pas le droit d’inscrire nos enfants à l’école publique. Et quand un établissement accepte, les conditions sont intenables : on exige des certificats détruits sous les bombes »
De la Syrie à l’Égypte : une famille palestinienne tente de survivre
Medfeminiswiya a également rencontré une famille palestinienne ayant fui la Syrie pour l’Égypte. Originaire du camp de Yarmouk à Damas (autrefois le plus grand regroupement de réfugiés palestiniens en Syrie), elle a tout perdu après des années de guerre, de bombardements et de siège. Selon l'Agence des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine au Moyen-Orient (UNRWA), 80 % des habitant·es du camp ont été déplacé·es.
En Égypte, cette famille fait face à une réalité juridique complexe. Non reconnue comme réfugiée, elle ne bénéficie ni d’aides publiques, ni du soutien du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR).
C’est grâce à l’engagement d’un jeune Égyptien, Ahmed Naguib, qu’elle reçoit une aide vitale. Alerté par un ami palestinien vivant en Australie, il mobilise son réseau pour collecter des dons, notamment pour financer les séances de dialyse d’un des membres de la famille – à raison de 1 200 livres (21 euros) par séance.
Malgré la signature de la Convention de Genève de 1951(4), les Palestinien·nes ne sont pas reconnu·es comme réfugié·es en Égypte. Une décision de la Ligue arabe de 1959 interdit en effet de leur accorder la nationalité de leur pays d’accueil ou de les considérer comme réfugiés officiels, afin de préserver leur identité nationale. Ce statut les prive de nombreux droits fondamentaux, tels que l’accès aux soins gratuits ou aux aides destinées aux réfugié·es.
Guerre, exil et cancer : le double combat d’une mère
Aïcha a fui Gaza avec ses deux filles, pour échapper aux bombes et poursuivre son traitement contre le cancer. Elle trouve refuge dans un village de la province de Charqiya située au nord-est du pays, où elle reçoit une solidarité spontanée et profondément humaine.
Les femmes du village se relaient pour lui rendre visite pendant le ramadan, elles lui apportent repas et présents, l’accompagnent à la mosquée, veillent à briser son isolement. « Pour l’Aïd, elles ont emmené mes filles jouer et leur ont offert des étrennes. En voyant leur joie, j’ai eu l’impression d’être de retour chez moi », raconte-t-elle.
Malgré la signature de la Convention de Genève de 1951, les Palestinien·nes ne sont pas reconnu·es comme réfugié·es en Égypte.
Cette solidarité de proximité apaise les blessures de la maladie et de l’exil. À l’échelle nationale, des initiatives se multiplient : Mastoura (5) fournit repas et hébergement aux familles palestiniennes précaires, Connecting Gaza (6) distribue des cartes SIM électroniques pour contourner les coupures de communication et d’internet.
De son côté, l’ONG Abwab El-Kheir (7) a soutenu 104 familles et étudiant·es bloqué·es en Égypte entre octobre et novembre 2023, pour 364 000 livres (environ 6400 euros). En décembre, elle étend son action à 250 nouveaux cas, avec une aide de 875 000 livres (près de 29 200 dollars 15 400 euros).
La presse s'engage
Face aux atrocités de la guerre et au flux des déplacées palestiniennes, une journaliste égyptienne – qui a préféré garder l’anonymat– a décidé de documenter ces récits de résilience et de soutien. Avec quelques collègues, elle a créé un réseau de soutien aux familles déplacées, mobilisant proches et amis pour financer logements, loyers et petits projets.
Elle raconte celui d’une jeune palestinienne récemment arrivée d’un Gaza dévasté : « Sa situation était désespérée. Après plusieurs mois de soutien, on a eu l’idée de lui proposer un micro-projet. Elle faisait d’excellents pains palestiniens. On lui a acheté un four, quelques outils… Aujourd’hui, elle vend ses produits dans son quartier. Elle est autonome. Elle n’a plus besoin d’aide. »
Sources:
Près de 100 000 Palestinien·nes sont arrivé·es de Gaza en Égypte depuis le début de la guerre
L’aide égyptienne à Gaza en chiffres – Al-Youm as-Sabaa
L’Égypte dévoile le volume des aides depuis l’accord de cessez-le-feu – Sky News
La Convention de 1951 relative aux réfugiés
L’initiative « Mastoura » – page officielle Facebook
Connecting Gaza, briser le siège de communication – Mirna Halbaoui
Fondation Abwab al Khir (Les Portes du Bien) – page officielle Facebook