En Italie, la possibilité de donner un double nom de famille (nom du père et nom de la mère) aux nouveaux nés est un acquis assez récent, obtenu grâce à deux décisions de justice historiques, de la Cour constitutionnelle (n. 286/2016), d’une part, et de la Cour de Cassation (décision du 27/4/2022), d’autre part. La première a déclaré inconstitutionnelle les normes qui empêchaient ce choix, les jugeant discriminatoires eu égard aux principes d’égalité entre les sexes. La seconde a quant à elle établi que les enfants peuvent porter le nom de famille des deux parents, selon l’ordre décidé par ces derniers ou, en cas de désaccord, par le juge.
La pratique en vigueur jusqu’alors prévoyait l’attribution automatique du seul nom du père, et elle entrait en contradiction non seulement avec la Constitution italienne (articles 2, 3 et 117, premier alinéa), mais aussi avec le droit européen.
C’est en 2014, en effet, qu’a été rendue la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (n. 77/07) sur le cas d’un couple marié milanais, Alessandra Cusan et Luigi Fazzo, qui n’avaient pas pu donner le nom de famille de la mère à leur fille en 1999. Après le recours au Tribunal et à la Cour d’appel de Milan, le couple s’est tourné vers la Cour d’appel européenne, qui a condamné l’Italie en affirmant que la réglementation en vigueur violait la Convention européenne des droits de l’homme (articles 8 et 14) et constituait une discrimination de genre.
Un parcours long et sinueux
« La bataille juridique pour la reconnaissance du double nom de famille en Italie remonte en fait aux années Quatre-vingt », se souvient Laura Cima, philosophe et écrivaine éco-féministe, ex-députée des Verts, qui en a été l’une des principales promotrices. « En tant que parlementaire, j’ai présenté à plusieurs reprises à la Chambre des députés des propositions de loi visant à rendre possible l’attribution du nom de famille de la mère aux enfants, à la fin des années 1980 puis à la fin des années 2000 », raconte-t-elle à Medfeminiswiya. En 2014, Cima a lancé une importante pétition en ligne, à laquelle ont souscrit de nombreuses associations féministes et une grande partie de la société civile : les plus de 50 000 signatures qu’elle a recueillie ont été remises au Sénat afin de demander l’examen parlementaire des différentes propositions de loi déjà déposées. « Au cours des quarante dernières années, j’ai vu beaucoup de femmes, trop de femmes, qui avaient parfois été abandonnées par leur mari ou par leur compagnon, injustement privée de ce droit fondamental. Et pourtant, ce sont être elles, plus encore que les hommes, qui devraient avoir le droit de donner leur nom de famille à leurs enfants, puisqu’elles les ont portés pendant neuf mois et qu’elles les ont ensuite mis au monde. Cette interdiction est l’un des derniers bastions de la mentalité patriarcale, encore profondément enracinée en Italie, comme en témoignent les innombrables blocages et obstacles que le processus législatif continue de rencontrer sur le plan institutionnel. »
Presque trois ans après l’appel de la Cour constitutionnelle qui invitait à revoir le cadre législatif, en effet, aucune loi n’a encore été adoptée pour encadrer ce phénomène. « Ce blocage est honteux et il reflète les dynamiques d’un pays où, pendant des siècles, la famille s’est fondée sur le concept d’autorité paternelle et sur la prédominance du père, qui décide pour tout le monde, et qui influence aussi la façon dont les enfants doivent être élevés », ajoute-t-elle.
Quelques chiffres
D’après l’Institut national italien de statistique (ISTAT), les enfants nés en Italie et enregistrés avec le nom du père et celui de la mère représentaient 6,2% du total en 2023, en augmentation de 3,8 points par rapport à l’année 2020. Le phénomène concerne davantage les régions du Centre-Nord (plus de 7%) que celle du Sud (4%), et essentiellement les aînés (9,1%), alors que pour les deuxièmes et troisièmes enfants, les pourcentages diminuent sensiblement (3,7% et 2,8%).
Les données recueillies montrent également que les couples mariés ont tendance à attribuer un double nom de famille moins fréquemment que les couples non mariés, et que les pourcentages les plus élevés de doubles noms de familles se retrouvent parmi les couples mixtes, composés d’une mère italienne et d’un père étranger (14,2%), suivis de ceux avec une mère étrangère et un père italien (7,7%), bien que leur choix soit également influencé par la législation en vigueur dans leurs pays d’origine respectifs (2). « Si les femmes ne saisissent pas encore pleinement cette opportunité, il est nécessaire de mener une campagne de sensibilisation sur la valeur que représente, pour nous, l’exercice de ce droit, d’un point de vue symbolique mais aussi concret », conclut Cima.
NOTES:
Dans le système judiciaire italien, cette figure représente le juge de légitimité de dernière instance des décisions rendues par la magistrature.
Au Portugal, il est possible de donner jusqu’à quatre noms de famille ; en Espagne, les noms des deux parents sont obligatoires ; en France et en Belgique, en cas d’accord entre les parents, les deux noms sont donnés dans l’ordre alphabétique ; au Danemark et en Scandinavie, le nom de la mère est attribué automatiquement par l’état civil alors qu’au Royaume-Uni, il est même possible de choisir un nom différent de ceux de la famille.