Plus que jamais, « Mare nostrum » est traversée par des courants contraires qui poussent à s’interroger sur le rôle de la presse et des outils qu’elle apporte en 2025. De Gaza à Alger, de Beyrouth à Tunis, de Malte à Marseille, les journalistes qui cherchent à faire cheminer la vérité sont nombreux. Et nombreuses : beaucoup de jeunes, beaucoup de femmes avaient répondu présentes à ces journées.
Comment produire une information fiable, condition nécessaire au débat démocratique ? Comment, pour les journalistes féministes de la Méditerranée, exercer notre métier, même dans des conditions difficiles en temps de guerre, en temps de crise ? Quelles perspectives pour le journalisme panarabe ?
Les Assises (1) devaient se dérouler à Tunis ou à Beyrouth. Mais le climat politique ne s’y prête pas. Jérôme Bouvier, président fondateur de l’association Journalisme et Citoyenneté, a dû se résoudre à garder l’ancrage des Assises en France pour cette troisième édition, même si ce fût « la mort dans l’âme » a-t-il reconnu lors de la séance d’ouverture. C’est donc à Marseille, sur le site du Pharo qui domine la vieille cité phocéenne, que se sont déroulés la plupart des débats.
Fidèles à la déontologie de la profession
Une grande effervescence régnait d’un atelier à l’autre, et il a fallu faire des choix dans les multiples propositions de débats, répartis dans les différentes salles du vaste Palais du Pharo. « Regards croisés sur l’exil », « Quel avenir pour le journalisme francophone en Afrique et en Méditerranée » , « Démêler le vrai du faux », « Promouvoir le journalisme d’investigation », « Se protéger des fake news », « Travailler dans les médias en Palestine », « Quel avenir pour les médias arabophones »… chaque débat était l’occasion de découvrir des journalistes prêt.es à affronter les défis dans leur propre pays, et dans leur propre domaine d’investigation ou de technicité -du podcast au l’IA, en passant par le grand reportage ou l’éducation aux médias, tout en restant fidèles à la déontologie de la profession, dans les difficiles conditions actuelles.
Il s’agissait non seulement de défendre les journalistes menacé.es, de rendre hommage aux journalistes tué.es en Palestine, voire en Ukraine et ailleurs, mais aussi de soutenir des initiatives innovantes. Amanda Abou Abdallah, cofondatrice de Khateera au Liban, a estimé que les créateur.ice.s de contenus n’ont pas abîmé la presse. Au contraire, « ce sont des natifs des réseaux sociaux qui ont peut-être plus de liberté dans la forme de leurs productions (...). En ne perdant jamais de vue l’éthique journalistique ». Les Assises ont d’autre part appelé solennellement à la « libération immédiate des journalistes emprisonnés injustement en Tunisie », sous l’impulsion du Syndicat national des journalistes tunisiens (texte à lire).
Au milieu de ce programme extrêmement dense, une place a été réservée aux journalistes féministes. Notre site Medfeminiswiya était présent aux Assises par la voix de sa rédactrice en chef, Olfa Belhassine, qui a participé le 30 avril au débat intitulé : « Quelle place pour les femmes journalistes en Méditerranée et en Afrique ? » animé par Dalia Hijazi, journaliste à France 24.
« Nous sommes la voix de sans-voix »
Olfa Belhassine n’a pas mâché ses mots sur : « le plafond de verre qui maintient les femmes journalistes dans des positions de subordination dans les rédactions », tandis que Codou Loum, journaliste sénégalaise, renforçait le trait sur la condition des femmes : « maltraitées dans les contenus médiatiques, au sein de leurs rédactions comme dans la société toute entière ». Mais Katt (2), journaliste syrienne longtemps exilée au Pays-Bas, a parlé elle aussi des difficultés qu’elle a subi à se faire reconnaitre à un poste de responsabilité : « En tant que rédactrice en chef, on m’a fait sentir moins importante, que j’étais faible. J’en ai souffert. Petit à petit, j’ai compris que je n’avais rien à prouver à mes collègues hommes ».

Vulnérables, les femmes ? Celles qui étaient au tour de la table ont prouvé le contraire. Tout en énumérant les sujets publiés par Medfminiswiya.net depuis trois ans, Olfa Belhassine a mis l’accent sur l’intérêt à « enrichir les enquêtes journalistiques par un regard féminin ».
Vulnérable, l’Egyptienne Solafa Magdy ? Son séjour en prison a opéré chez elle « un changement radical », et l’a conduite à recueillir des témoignages directs, en prise avec la réalité. A l’instar de la grande Nawal El Saadawi qu’elle a citée en exemple, autrice d'une œuvre audacieuse mise au service de la lutte contre les violences machistes. Magdy poursuit sa « lutte sur deux fronts : (sa) rédaction, et la société ». Il n’y avait pas de femmes au sein du syndicat des journalistes : la voilà ... Elle vient de gagner cette lutte et en est fière.
Reste que les cicatrices de la discrimination systémique semblent profondes, et que le changement pour les femmes se fait attendre depuis trop longtemps. Toutes restent déterminée à occuper de plus en plus les espaces médiatiques et à pousser leurs pays sur le chemin de la démocratie. « Nous sommes la voix de sans-voix », a conclu Olfa Belhassine en énumérant tous les sujets sur les femmes silenciées, marginalisées et précarisées auxquelles le site féministe a consacré des reportages et des enquêtes depuis son lancement en 2020.
Vulnérables, les femmes ? Celles qui étaient au tour de la table ont prouvé le contraire. Tout en énumérant les sujets publiés par Medfeminiswiya.net depuis trois ans, Olfa Belhassine a mis l’accent sur l’intérêt à « enrichir les enquêtes journalistiques par un regard féminin ».
Gaza, informer malgré tout
Une charte a vu le jour, officiellement signée aux Assises du journalisme : la charte de Marseille sur l’information et les migrations. Fruit de plusieurs mois de travail, cette nouvelle charte déontologique vise à guider les journalistes et les médias afin de tendre vers une couverture précise, complète et respectueuse des questions migratoires.
La déontologie parcourait en filigrane l’ensemble de ces Assises, à travers des préoccupations majeures : utiliser à bon escient les outils numériques ; pratiquer le fast-checking pour contrer les fake news ; publier des enquêtes solides, basées sur des faits ; faire de l’éducation aux médias auprès de la jeunesse... Que de terrains à occuper pour contrer les médias mainstream, détenus par des milliardaires plus soucieux de rendement à court terme que de déontologie !
Cette édition des Assises s’est achevée dans l’émotion autour du thème : « Gaza, informer malgré tout » à la Friche de la Belle de Mai. « Je rentrais chez moi quand une roquette est tombée. J’ai perdu mes quatre enfants. […] C’est la facture d’être journaliste à Gaza : vous écrivez votre testament », a témoigné Islam Idhair, journaliste gazaoui cofondateur du site Gaza en français et de la chaîne YouTube Gaza la vie. Un hommage à la journaliste Marine Vlahovic, spécialiste du Proche-Orient, morte le 25 novembre 2024 à Marseille, a aussi été rendu.

Des médias indépendants en quête de ressources
Un autre obstacle de taille pour le journalisme de demain a été évoqué lors d’une rencontre particulière, organisée par Sahafa Med, qui conduit un programme de soutien des journalistes et des médias indépendants au Sud de la Méditerranée avec l’appui de l’Union européenne. Les experts en médias de tout le bassin méditerranéen, dont des représentants de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) se sont rerouvé.es une journée entière, la veille des Assises, pour examiner la nécessité de revoir en profondeur l’approche des bailleurs de fonds envers les médias indépendants.
Dans le contexte des bouleversements à l’échelle planétaire et de la réduction drastique des financements octroyés aux médias, comment les programmes et les projets d’appui peuvent-ils améliorer leur soutien ? Comment rendre plus efficaces les collaborations en matière de sécurité et cybersécurité des journalistes ? Comment optimiser les compétences dans les relations entre bailleurs et médias ? De plus en plus de bailleurs de fonds s’intéressent aux médias indépendants et se posent la question de la facilitation des financements entre organisations du Nord et celles du Sud. Vaste sujet qui reste en suspens, tant une approche intégrée se fait attendre.