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Image de couverture: Iman Al-Shambari et sa famille dans leur tente à Gaza – Photo : Abla ‘Alami
Abla ‘Alami
Sara, jeune maman, n’a pas choisi d’accoucher dans une tente, sans eau ni électricité, sous le vacarme des avions et le fracas des bombes. Elle rêvait d’une salle d’accouchement paisible, d’une main serrant la sienne, d’un cocon pour accueillir son bébé. Au lieu de cela, elle a dû arpenter les ruelles sableuses du camp, passant de poste médical en poste médical, cherchant un semblant de refuge.
Sous les bombes israéliennes, donner naissance n’a plus rien d’humain. Des dizaines de femmes accouchent dans des conditions effroyables : certaines sous des tentes, d’autres dans des ambulances ou des cliniques sans stérilisation ni médicaments. Et la souffrance ne s’arrête pas là : elle débute vraiment au premier cri. Comment nourrir un bébé quand on meurt de faim soi-même ?
Des corps sans lait
Les mères allaitantes souffrent de malnutrition aiguë. La nourriture à disposition suffit à peine à survivre — comment produire du lait ?
Viande, œufs et lait ont disparu. Les légumes sont rares. Les mères survivent de conserves et de légumineuses, ou parfois de rien. Leur santé décline, et leur lait s’épuise — tout comme les étagères vides des pharmacies, où le lait artificiel disparait aussi.
« Je bois de l’eau et de la menthe toute la journée. Je ne mange rien. Comment voulez-vous que mon corps produise du lait ? » demande Oum Mohammed, mère d’un bébé de deux mois. Parfois je pleure avec lui. Il a faim et je suis impuissante. »
Alors, elles se tournent vers le lait artificiel, quand il y en a. Mais il est hors de prix, vendu au marché noir. Une seule boîte peut coûter autant que plusieurs jours de nourriture pour toute une famille. Encore faut-il disposer d’eau potable pour le préparer, et de combustible pour stériliser les biberons.
Résultat : diarrhées, malnutrition, décès. Des bébés meurent parce que leurs mères ne peuvent ni allaiter, ni acheter d’alternatives.

Témoignage depuis des hôpitaux dans l’obscurité
À l’hôpital Martyrs d’Al-Aqsa de Deir al-Balah, l’infirmière Noha Sweidan travaille sans relâche depuis le début de la guerre. D’une voix fatiguée, elle témoigne : « Les mères arrivent à bout. Certaines n’ont rien mangé depuis deux jours. Celles qui accouchent n’ont pas la force d’allaiter. Le lait ne vient pas : leurs corps sont à bout. On essaie de les aider avec des calmants ou des perfusions, mais même cela manque. »
Elle poursuit : «Le moment le plus dur que j’ai vécu, c’est quand une petite fille de dix jours est morte dans mes bras. Sa mère n’avait plus de lait, et on n’a pas pu lui en trouver. Les hôpitaux n’ont plus de stock. Le lait thérapeutique est introuvable depuis des mois. Les médecins ne peuvent que dire : “Faites ce que vous pouvez.” »
Habituée à la douleur, Noha avoue pourtant pleurer chaque soir : pas seulement d’épuisement, mais d’impuissance.
« Ce ne sont pas seulement des enfants que nous perdons… C’est notre humanité, jour après jour. »
Médecin et enceinte : un double combat
A ses côtés, la docteure Sana Abou Labda affronte les mêmes épreuves — avec un fardeau supplémentaire : elle est elle-même enceinte.
« À Gaza, les femmes enceintes et allaitantes souffrent de carences nutritionnelles graves. Le lait maternel s’appauvrit, parfois jusqu’à devenir inefficace. Les nourrissons naissent sans défenses, et les mères s’épuisent, privées de vitamines et d’aliments essentiels — rares ou inaccessibles. »

« Moi-même, enceinte, j’essaie de compenser avec le peu d’aliments disponibles, mais le manque de calcium est flagrant. Les crampes, la fatigue s’aggravent. Je travaille sous pression, avec de longues gardes. Après 24 heures, je rentre épuisée dans une maison sans eau, sans électricité, sans repas. Pourtant, je dois tenir. Je n’ai pas le choix. Je dois rester forte, pour moi et les miens. »
Des chiffres alarmant
D’après le ministère palestinien de la Santé, plus de 300 nourrissons sont morts depuis le début de la guerre, victimes de déshydratation ou de malnutrition, principalement des nouveau-nés.
Plus de 12 000 cas de malnutrition aiguë ont été recensés. Les structures médicales ne peuvent plus fournir de lait thérapeutique ni de compléments alimentaires de base.
L’OMS indique que plus de 90 % des femmes enceintes ou allaitantes à Gaza sont en malnutrition sévère, ce qui nuit gravement à l’allaitement. Le manque de lait artificiel menace la vie de plus de 8 500 bébés qui en dépendent totalement.
« Je ne savais pas s’il était vivant ou mort », raconte Rana. « Le bruit des bombes était assourdissant. Je n’ai même pas entendu son premier cri. »
Des héroïnes sans bruit
Dans une déclaration officielle, le porte-parole du ministère de la Santé de Gaza alerte :
« Nous vivons une catastrophe sanitaire silencieuse. Les enfants paient le prix fort. Le manque de nourriture, l’absence de lait, la santé des mères en chute libre entraînent une hausse dramatique des décès de nourrissons. La situation est hors de contrôle, à cause du blocus et du refus par Israël d’acheminer l’aide. »
Les femmes qui ont enfanté en pleine guerre sont des héroïnes de l’ombre. Elles ont résisté, enduré, mis au monde et nourri leurs enfants dans la peur et la privation.
Leurs histoires ne sont pas de simples chiffres : ce sont des cris de vie, des appels à la conscience du monde.
Ne laissez pas nos mères affronter seules la faim et les bombes.
Ne laissez pas nos enfants mourir avant même d’avoir effleuré la vie.