Au moment de la chute de Kaboul, ce jour où les combattants armés des talibans sont entrés dans la capitale afghane et que le président a quitté la ville en secret, une vague de peur et d’incertitude a submergé la population. Aujourd’hui, les Afghan.e.s sont exposé.e.s à un danger imminent et menacés directement par les talibans. Ils/elles s’efforcent désespérément d’atteindre l’aéroport de Kaboul — dernier refuge encore sous la présence limitée des forces étrangères — dans l’espoir de fuir vers un lieu sûr.
Cette scène est tirée de la série Kaboul. Et c’est le seul moment de tension et de chaos, mêlant peur et excitation de cette minisérie en six épisodes. Réalisée par deux cinéastes français, Olivier Demangel et Thomas Finkielkraut, et financée par l’Union européenne pour la chaîne France 2, elle retrace l’évacuation chaotique des forces étrangères ainsi que la fuite de milliers de citoyen.n.e.s afghan.e.s.
Cependant, malgré la volonté d’authenticité dans sa narration, la série raconte une autre histoire : l’exclusion des actrices afghanes des rôles clés dans un récit dont elles devraient être le cœur. Kaboul a ainsi soulevé de nombreuses critiques de la communauté artistique afghane, notamment des femmes actives dans ce domaine.
Sahra Karimi, réalisatrice et ancienne directrice d’Afghan Film aujourd’hui en exil, a écrit ouvertement sur les réseaux sociaux : « Cette série prétend être réaliste, mais pour nous, qui avons vécu Kaboul, ce n’est rien d’autre qu’une représentation superficielle et occidental-centrée. Les femmes afghanes, véritables protagonistes de ce récit, ne sont pas seulement invisibilisées, mais sont incarnées par des actrices non afghanes, de manière creuse et sans profondeur.
L’art en exil : des talents relégués à la marge
Dans cette série, seul.e.s quelques artistes afghan.e.s sont présent.e.s, et les rôles principaux sont majoritairement interprétés par des acteurs venus de pays européens ou du Moyen-Orient comme la France, l’Allemagne, l’Italie ou le Liban. Même les dialogues, rédigés en persan, sont prononcés avec des accents artificiels et étrangers à l’oreille afghane.
Marjan Najafi, une actrice afghane de 27 ans, fait partie de ces femmes qui auraient pu insuffler une véritable vie à ce récit grâce à leur expérience vécue. Elle travaille à Hérat dans l’ouest de l’Afghanistan comme actrice dans l’industrie cinématographique afghane et a tenu des rôles principaux dans plusieurs films et séries. “Avant que je sois contrainte de fuir, tout allait bien. J’étudiais ce que j’aimais, j’avais commencé à travailler, et très vite, j’ai obtenu des rôles principaux” raconte-t-elle lors d’un entretien téléphonique. Seulement, en 2021, elle a dû partir pour sauver sa vie. Son parcours migratoire, contrairement à ses espoirs initiaux, s’est révélé bien plus difficile qu’elle ne l’avait imaginé. “Aujourd’hui, je suis loin de mon rêve d’actrice”, regrette-t-elle.
Si l’Occident prétend vouloir porter une narration juste pour le peuple afghan, n’est-il pas temps de laisser les femmes afghanes raconter, jouer et écrire leur propre histoire ?
Marjan Najafi vit aujourd’hui à Strasbourg, en France, et suit des cours intensifs de français pour espérer reprendre son chemin dans le cinéma. “À cause de mes difficultés financières, j’ai dû accepter un autre travail. Mais j’espère qu’un jour, une opportunité se présentera pour que je puisse retourner à ma véritable passion : le métier d’actrice.”, poursuit-elle.
Une période oubliée
Dans l’Afghanistan contrôlé par les talibans, non seulement les femmes sont interdites d’université et de cinéma, mais elles n’ont même plus le droit d’étudier l’art, le théâtre ou le cinéma. Pendant la courte période République d’Afghanistan 2000-2021, on comptait plus de 16 cinémas et 160 sociétés de production privées, avec des festivals promouvant les artistes, en particulier les réalisatrices.
L’une des grandes surprises du développement du cinéma en Afghanistan avant l’arrivée des talibans, c’est-à-dire pendant la république, a été que de nombreuses femmes se sont tournées vers la comédie et la réalisation de films. Elles jouaient également dans des pièces de théâtre et des séries télévisées. De plus, pour la première fois en 2019, Sahra Karimi a été élue par la Commission indépendante des réformes administratives et des services publics en tant que présidente de l’institution Afghan Film.
Aujourd’hui, même le souvenir de cette époque semble effacé. Et, plus douloureux encore, dans les récits de cette tragédie, la voix des femmes reste absente.
Un exil renouvelé au pays de la liberté
Des dizaines d’artistes afghanes vivent en exil — en France et ailleurs en Europe. La plupart d’entre elles ont dû abandonner l’art (en Afghanistan comme en France) pour occuper des emplois sans lien avec leur vocation. En cause, des barrières linguistiques, économiques, culturelles, des discriminations systémiques, ainsi que l’absence d’un espace de travail cinématographique pour elles en Europe. Comme c’est le cas pour Marjan Najafi.
Et une question essentielle se pose : quelle est la différence entre la censure officielle des talibans et l’effacement systématique des femmes afghanes dans les productions culturelles occidentales ?
Si l’Occident prétend vouloir porter une narration juste pour le peuple afghan, n’est-il pas temps de laisser les femmes afghanes raconter, jouer et écrire leur propre histoire ?
En réalité, bien que le cinéma et les médias occidentaux cherchent à offrir une image précise de la situation en Afghanistan, les femmes afghanes n’ont pas encore suffisamment d’opportunités d’exprimer leur point de vue et leur expérience dans ces espaces.