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En temps de guerre, il n’y a pas de place pour les détails. Pas le temps de souffler, de remettre mes idées en ordre, ni même de prendre un sac. J’étais là, chez nous, au sud de Gaza, quand le missile a frappé. Je n’ai pensé à rien : juste à la poussière, aux cris, aux bruits d’objets brisés — ces objets qui incarnaient autrefois notre vie.
Je suis sortie des décombres. Oui, je suis sortie, mais une part de moi est restée là-bas, figée entre les carreaux brisés et la mémoire.
Une femme sur un champ de bataille
Depuis cette nuit-là, je n’ai cessé de fuir — onze déplacements, chacun plus cruel que le précédent. À chaque fois, nous laissions derrière nous une part de notre vie, de nos objets, de nos rêves.
Aujourd’hui, je vis dans une petite tente, dans un camp de déplacé.e.s. Une tente à peine assez vaste pour contenir mon souffle. Sans intimité, sans électricité, sans porte à fermer pour me sentir en sécurité. Pourtant, une chose m’est essentielle : écrire.

J’écris à la lumière de mon téléphone, quand toute autre source s’est tue. J’écris, car c’est la seule chose qui me tienne encore debout. C’est le seul moyen de libérer ma douleur et mon chagrin.
Les guerres ne sont pas faites pour les femmes. Et pourtant, nous y sommes plongées jusqu’au cou. La femme lutte sur plusieurs fronts : survivre, protéger ses enfants, et parfois, brandir son stylo face à la violence. Nous portons nos enfants, nos blessures, nos mots, et nous avançons dans les ruines.
Parfois, je marche des heures jusquesur les lieux où une famille a été bombardée, ou pour écouter une femme qui a tout perdu d’un seul coup : sa maison, son mari, son fils. Je reviens, le cœur lourd, mais j’écris.
Je rentre chargée de chagrin, mais j’écris. Parce que je sais qu’aucun récit ne pourra dire notre vérité si nous ne l’écrivons pas nous-mêmes.
Chaque fois que je quitte la tente pour aller sur le "terrain", je sais que je risque ma vie. Pas seulement parce que je suis journaliste, mais parce que je suis une femme dans un endroit où les femmes ne sont vues que comme victimes, jamais comme témoins.
Mais je ne suis pas une victime. Je suis un témoin. Et mes mots sont un acte de résistance.
Ce que j’écris ne sont pas de simples phrases sur du papier — c’est ma manière de tenir bon, de garder prise sur ce monde, c’est l’espoir auquel je me raccroche alors que tout s’effondre.
Être femme en guerre, ce n’est pas juste être victime. C’est être mère, sœur, journaliste, survivante. Et pourtant, nos voix sont rarement entendues, notre présence rarement racontée.
C’est pour cela que j’écris. Pour elles. Pour que leurs histoires vivent dans la mémoire de l’Histoire.
Quand on est une femme au cœur de la guerre, on n’est pas seulement victime. On est mère, sœur, journaliste, survivante. Et pourtant, nos voix sont rarement entendues, notre présence rarement racontée.
L’écriture comme acte de survie
Chaque jour, je me demande ce que signifie écrire au cœur de cette désolation.
Que vaut le journalisme quand tout s’écroule ? Qu’est-ce qui nous pousse à tenir un stylo dans un tel chaos ?
Je retourne à l’écriture parce que je n’ai pas le choix.
J’écris pour résister à l’oubli. Pour dire que nous étions là, que nous avons vécu, souffert, écrit au milieu des ruines.
L’écriture est le seul chemin qui ne mène pas à la mort, et qui nous garde à l’inven vie.
Peut-être avons-nous perdu nos maisons, et il se peut que nous ne puissions pas y retourner avant longtemps. Mais nous avons encore des stylos et des cœurs qui tiennent bon.
Cette écriture, aussi fragile et épuisée soit-elle, est l’espoir qui m’habite. C’est ce qui me permet de rester humaine.
Sous la tente… des voix sans mots
J’écris beaucoup. Mais certaines choses ne s’écrivent pas. Elles se ressentent :
Le cri d’une petite fille dans la tente voisine, réclamant son lit.
L’odeur du pain grillé sur une plaque chauffée au feu.
Le rire d’une mère, malgré tout, parce qu’elle a pu préparer un plat de lentilles.
Ces instants, que certains jugeraient dérisoires, donnent un sens à la vie en temps de guerre.
Ils te rappellent qu’en dépit de tout, la vie continue...
Le soir, nous, les femmes, nous nous serrons les unes contre les autres dans la tente, partageant des histoires, cachant notre peur derrière des plaisanteries, échangeant des chargeurs de téléphone et des tasses de thé.
Dans cet espace exigu, leurs visages sont devenus partie intégrante de mon récit, de mon écriture, de mon cœur.
Chacune d’entre elles est journaliste à sa manière : elle raconte, pleure, observe, se tait — mais ne renonce jamais.
Comme si, ensemble, nous écrivions une seule histoire : celle de la résistance face à la mort. Celle de la survie envers et contre tout.
Les voix des femmes en guerre
J’écris sur elles : sur leur pain trempé d’espoir, leur patience, les routes qu’elles ont empruntées à la recherche d’un refuge.
J’écris sur leurs visages que personne ne connaît, sur leurs récits chuchotés en secret.
Quand on est une femme au cœur de la guerre, on n’est pas seulement victime. On est mère, sœur, journaliste, survivante. Et pourtant, nos voix sont rarement entendues, notre présence rarement racontée.
C’est pour cela que j’écris. Pour elles. Pour que leurs histoires vivent dans la mémoire de l’Histoire.
J’écris car ces mots pourraient être tout ce qu’il restera de nous.
J’écris pour que notre douleur ne soit pas oubliée, que notre histoire ne disparaisse pas, que nos récits ne restent pas enfermés dans la mémoire du chagrin.
En guerre, il n’y a pas de place pour trop de larmes ou trop de résignation. Et si tu ne peux pas pleurer, alors tu dois écrire.
Au milieu de la douleur et de la peur, l’écriture est notre seule échappatoire. C’est notre unique fenêtre vers la lumière.

Peut-être qu’un jour, quand la guerre cessera, je relirai ces mots, écrits à la lumière d’un téléphone, dans une tente vide de tout — sauf de volonté.
Et ce jour-là, je saurai que j’ai résisté, que j’ai tout donné pour tenir debout, que j’ai gardé en moi ces instants pour raconter au monde l’histoire de Gaza, celle des femmes, et celle des journalistes qui ont continué d’écrire quand tout avait disparu.